Tout le monde travaille pour le client – afin qu’il soit satisfait de ce qu’il obtient en contrepartie de son argent. Cela se traduit de différentes manières : des produits de qualité, une livraison ponctuelle, un échange sans histoire, des fruits frais, une bouteille offerte pour dix achetées, un sourire sincère, un grand merci, ou encore le suivi d’une commande, d’une procédure judiciaire ou d’un projet de recherche. La clientèle récompense le bon travail des employés en achetant davantage de produits ou de services, ainsi qu’en recommandant leur entreprise. Lorsqu’un client achète un produit, l’argent gagné sert à financer les salaires, les congés et les pauses café. 

Si les clients décident qu’ils n’obtiennent pas la valeur escomptée en échange de ce qu’ils ont payé et vont voir ailleurs, l’entreprise a moins d’argent pour rémunérer ses salariés ou investir. Si elle perd alors des revenus, elle sera contrainte de réduire ses coûts pour rester viable. Si un employé ne génère pas une plus- value supérieure à son coût, il risque d’être licencié. Et ce licenciement est la conséquence directe de la perte de clientèle. 

Les clients virent des employés tous les jours pour de multiples raisons. Un client est ignoré ou traité sans considération ? Il sort du magasin, du restaurant, du pressing. Il est déconcerté par l’emploi d’un jargon ou agacé par l’insistance d’un vendeur ? Il quitte la salle d’exposition, la boutique d’électroménager, le concessionnaire. Sa commande a du retard ou ne correspond pas à ses attentes ? Il la refuse ou ira acheter ailleurs la prochaine fois. Il n’a pas le temps ou la patience de chercher à comprendre le fonctionnement d’un système téléphonique complexe ? Il raccroche. Sa réservation est perdue, son article est défectueux, des erreurs figurent sur son compte, ses fleurs se fanent trop rapidement ? Il risque d’aller voir ailleurs. 

Récemment, une grande chaîne de magasins a fait faillite, mettant plusieurs milliers de personnes au chômage. Son échec avait plusieurs origines: sa direction était incompétente, sa stratégie, inefficace, et ses employés, pas assez formés, si bien que ses clients ont fini par fuir ses enseignes et ses vendeurs. L’épisode suivant illustre la situation de cette entreprise avant sa cessation d’activité : un client prévoyant d’acheter une centaine d’appareils électroménagers (pour un immeuble qu’il veut équiper) prend rendez-vous avec le responsable d’un magasin une demi-heure avant l’ouverture. Lorsqu’il arrive, à l’heure prévue, il trouve les portes fermées. Le responsable n’est pas là. En regardant par la vitrine, le client voit deux employés discuter autour d’une tasse de café. Il fait du bruit en grattant la vitre avec une clé pour attirer leur attention. L’un d’eux pointe le doigt sur sa montre et lui dit, en articulant exagérément : « Nous sommes fermés ! » L’autre lève ses dix doigts afin de bien indiquer à ce client prêt à acheter que le magasin ouvre à 10 heures. Contents d’avoir été aussi clairs, les deux employés retournent au fond du magasin. 

Ce client s’est alors tourné vers une autre entreprise, consciente de l’importance de la commande qu’il voulait passer. Ce jour-là, il a en quelque sorte renvoyé ces deux employés, leur responsable absent et tous leurs collaborateurs. Quelques mois plus tard, les deux buveurs de café et leurs 19998 collègues n’avaient plus de clients, plus de travail, plus de salaire.